Lorsque le Programme alimentaire mondial (PAM) et Oxfam ont lancé l'Initiative R4 pour la résilience rurale en 2011, c'était dans le but d'adopter une approche novatrice pour améliorer la sécurité alimentaire et lutter contre les effets du changement climatique. Le PAM a été la première agence des Nations unies à envisager d'intégrer la micro-assurance dans une stratégie plus large de gestion des risques climatiques dans les zones d'insécurité alimentaire chronique et transitoire, sujettes à des sécheresses et des inondations récurrentes. Ce faisant, elle aide les communautés à renforcer leur résilience, à accroître leurs revenus et à améliorer leur bien-être face aux chocs climatiques qui ne cessent de se multiplier. Aujourd'hui, plus de dix ans après, le programme touche plus de 3,8 millions de personnes dans 21 pays.
L'initiative R4 a été développée autour de quatre stratégies clés de gestion des risques : La réduction des risques liés aux chocs climatiques grâce à des solutions naturelles et à l'amélioration des pratiques agricoles ; le transfert des risques liés aux événements catastrophiques vers l'assurance privée, en particulier la micro-assurance ; la rétention des risques des ménages et des communautés en encourageant l'épargne collective et en l'intégrant dans les systèmes de protection sociale ; et la prise de risques prudente grâce à l'éducation financière, à la diversification des moyens de subsistance et à l'accès au crédit, facilitant ainsi de meilleurs investissements.
Une approche innovante intégrant la micro-assurance
Le but de l'initiative était de s'attaquer à l'objectif de développement durable (ODD) 2 - Faim zéro d'ici 2030 - mais l'intégration de la micro-assurance a également contribué à s'attaquer à plusieurs autres ODD, y compris Pas de pauvreté (ODD 1), Lutte contre les changements climatiques (13), Vie terrestre (15) et Partenariats (17). Cette initiative comporte plusieurs autres aspects novateurs. Tout d'abord, les ménages vulnérables peuvent accéder à une assurance indexée en participant à des activités de gestion des risques. Cela signifie qu'ils peuvent se remettre plus rapidement d'événements climatiques extrêmes car ils n'ont pas besoin de vendre des actifs productifs pour survivre. Deuxièmement, le R4 se concentre sur le développement de produits d'assurance innovants, notamment : l’assurance basée sur un indice climatique (WII –acronyme anglais), l’assurance indicielle basée sur un rendement moyen par zone (AYII – acronyme anglais), qui couvrent une série de risques pouvant affecter le rendement des cultures ; l’assurance indicielle du bétail (IBLI – acronyme en anglais), qui couvre les éleveurs lorsque la végétation est limitée pour le pâturage ; et l’assurance indicielle hybride (HII – acronyme en anglais) qui combine des éléments de WII et d'AYII.
L'assurance permet également aux gens d'investir dans des entreprises plus risquées qui ont un potentiel de rendement plus élevé, ainsi que dans des ressources et des équipements qui peuvent les aider à cultiver et à récolter avec succès davantage de cultures. Le rendement de ces investissements, combiné à la sécurité qu'apporte le transfert de risque, permet aux ménages de constituer une épargne et de mieux résister aux chocs futurs. Cela a grandement contribué à sortir les familles de la pauvreté. Un autre élément innovant du programme R4 est sa structure de financement à long terme. Au départ, l'assurance est financée par le PAM, les subventions gouvernementales et les systèmes de protection sociale existants, ainsi que par des programmes financés par des donateurs et des systèmes commerciaux. Toutefois, pour assurer la viabilité à long terme, les bénéficiaires du système commencent à payer eux-mêmes l'assurance au fur et à mesure qu'ils deviennent plus indépendants financièrement.
Cette initiative est déjà couronnée de succès, puisqu'elle touche près de 4 millions de personnes en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes. À ce jour, les produits d'assurance ont versé plus de 12,6 millions d'USD, soutenant ainsi plus de 1,8 million de personnes. Ce succès est dû à plusieurs facteurs. En interne, le programme du PAM, qui consiste à sauver et à changer des vies (et le climat), a trouvé un écho, avec une forte mobilisation sur le terrain et le soutien de la direction. L'approche intégrée et la stratégie de proximité du PAM ont été soutenues par le fait qu'il s'agit de la plus grande agence humanitaire. Le développement du capital et les pratiques de suivi, d'évaluation et d'apprentissage ont également contribué à ce succès, tout comme une culture de l'innovation qui encourage la pensée créative.
Sur le plan extérieur, les facteurs qui ont déterminé la réussite du programme comprennent un leadership et une participation solides de la part du gouvernement, ce qui inclut l'établissement de liens avec les programmes de protection sociale et les subventions locales, ainsi que la communication des avantages du programme à l'ensemble de la population et la mise en place d'un environnement politique propice. La stabilité du pays est également cruciale, car elle permet la croissance du secteur privé, soutient le développement d'infrastructures clés telles que la connectivité Internet et favorise l'inclusion financière (y compris l'accès aux services bancaires de base, aux prêts et à l'épargne). Les partenariats avec d'autres ONGI ayant un programme commun ont également contribué à l'expansion de cette initiative dans les 21 pays concernés à ce jour.
R4 en action : des exemples de réussite dans les régions
Le Malawi est l'un des pays qui en a bénéficié. Le programme a démarré en 2015 en mettant l'accent sur : la réduction des risques, qui visait à améliorer la rétention de l'eau et des sols et à promouvoir l'agriculture de conservation en échange de nourriture et d'argent ; le transfert des risques grâce à l'accès à l'assurance basée sur des indices météorologiques ; la promotion de l'épargne par le biais de groupes d'épargne et de prêts villageois (VSL) ; et les activités de crédit par le biais de la microfinance. Ce programme a été mis à l'essai en 2015 avec l'inscription de 500 agriculteurs à l'assurance. En 2019, 39 000 d'entre eux étaient couverts et ce chiffre est passé à 309 000 personnes. En 2021, 65 000 ménages agricoles ont reçu des paiements en espèces d'un montant total de 2,4 millions d'USD - l'un des paiements d'assurance basées sur des indices les plus importants sur les récoltes jamais effectués sur le continent africain - en raison de chocs liés au climat.
D'autres exemples de réussite ont été relevés dans les autres pays couverts. Au Kenya, les versements de l'AYII ont aidé les agriculteurs à la suite d'une mauvaise saison agricole, 963 d'entre eux ayant reçu un versement. Une enquête menée auprès de 124 de ces bénéficiaires a révélé que 85 % d'entre eux avaient acheté de la nourriture, 39 % du bétail, 29 % des intrants agricoles et 31 % l'avaient utilisé pour payer les frais de scolarité. Le paiement les a donc aidés à protéger leurs moyens de subsistance à long terme en leur permettant d'acheter des actifs productifs. Au Sénégal, après un essai en 2015 avec 233 agriculteurs, l'initiative s'est étendue à 1 543 agriculteurs couverts en 2017, avec un total de 404 agriculteurs recevant des paiements en raison de la faible pluviométrie en 2015 et 2016. Ce programme a réussi à atteindre les petits exploitants grâce à quelques éléments clés : ajouter de la valeur aux produits d'assurance en les regroupant avec des intrants et des services ; accroître l'efficacité en regroupant la distribution par le biais d'organisations et de syndicats d'agriculteurs ; et utiliser des données satellitaires pour les régions où il est difficile d'obtenir des données au sol. En Haïti, en 2022, le PAM a mis en œuvre un projet pilote d'assurance indexée sur les conditions météorologiques dans le cadre du programme R4, qui a permis de protéger près de 5 000 petits exploitants (dont 51 % de femmes) contre les excès et les déficits de précipitations. D'ici 2024, ils visent à étendre le programme pour couvrir 50 000 agriculteurs (61% de femmes) avec la micro-assurance.
Relever les défis du déploiement du R4
Malgré les succès remportés, il reste des difficultés à surmonter, notamment des défis stratégiques - tels que la garantie de la durabilité de l'initiative et l'obtention d'un financement - et des difficultés opérationnelles liées à la nature manuelle du déploiement, aux coûts administratifs élevés et aux retards en matière de réclamations et d'enregistrement. Le développement du produit pose également des problèmes, qu'il s'agisse de susciter des attentes erronées ou de trouver des moyens de l'associer à d'autres services financiers. Les problèmes de capacité - tels que le manque de préparation et d'infrastructure pour la numérisation - peuvent également créer des obstacles à la poursuite du déploiement du programme, tout comme la recherche de partenaires pour soutenir le programme, en particulier les institutions financières formelles pour fournir d'autres produits financiers.
Un autre défi important auquel l'Initiative R4 est confrontée est l'accès aux communautés qui ont le plus besoin d'aide et l'instauration d'un climat de confiance entre elles. C'est l'une des cinq voies de croissance que le PAM a identifiées pour le programme. L'objectif est de développer l'offre par le biais de mécanismes tels que l'appropriation par le gouvernement et le financement mixte. Il travaille également avec des groupes communautaires locaux, des organisations agricoles et des syndicats afin de pouvoir distribuer l'aide plus efficacement, comme c'est le cas au Sénégal. En s'appuyant sur les réseaux de soutien existants, elles contribuent également à instaurer un climat de confiance avec les communautés rurales qui, souvent, ignorent l'existence de l'assurance ou en sont sceptiques. En Haïti, par exemple, les femmes peuvent accéder à l'assurance par l'intermédiaire d'une association appelée ASOFAD. Les membres (actuellement environ 200) peuvent également bénéficier d'une éducation financière et d'une formation à l'alphabétisation par l'intermédiaire de l'association. Un autre domaine de croissance axé sur l'instauration de la confiance consiste à veiller à ce qu'une approche centrée sur l'humain soit adoptée pour aider les bénéficiaires du programme à se sentir écoutés. Il s'agit notamment d'améliorer les pratiques de suivi et d'évaluation et les indicateurs clés de performance, et de mettre en place un mécanisme de règlement des litiges efficace.
Le développement holistique des capacités est une autre des voies de croissance sur lesquelles le PAM se concentre. Il s'agit d'aider les agriculteurs et les communautés rurales à comprendre les avantages de l'assurance en proposant une éducation financière et numérique et en encourageant une forte participation locale au programme. Ils visent à améliorer les stratégies de gestion des risques grâce à des subventions intelligentes, des pratiques agricoles intelligentes et des stratégies d'atténuation et d'adaptation, telles que des solutions fondées sur la nature et la superposition de différents mécanismes financiers pour se protéger contre les pertes et les dommages. Le dernier axe de croissance du PAM consiste à aider les agriculteurs et les communautés participant à l'initiative à se développer. Pour ce faire, il s'agit de les aider à accéder aux marchés, de leur offrir des services de conseil aux entreprises pour les aider à prendre des décisions plus stratégiques et de leur permettre d'accéder à des financements formels.
Le succès de l'initiative R4 à ce jour et son ambition d'aider les communautés rurales dans les régions touchées par le changement climatique montrent qu'elle prend des mesures positives pour atteindre cinq des objectifs du Millénaire pour le développement. La micro-assurance joue un rôle crucial dans la réussite du programme. Cependant, elle n'est qu'un élément d'une stratégie plus large de gestion intégrée des risques. En aidant les gens à s'aider eux-mêmes en réduisant les risques dans la mesure du possible, en constituant une épargne et en prenant des décisions financièrement saines concernant les investissements dans leurs entreprises, on les rend plus résilients à long terme et moins affectés par les pertes soudaines causées par les événements liés au climat. Ce n'est pas seulement une victoire pour les communautés elles-mêmes, mais aussi pour les assureurs.